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Gukesh insiste mais la nulle reste au menu !
Gukesh a refusé une répétition de coups dans une position légèrement inférieure pour prolonger le combat. Photo : Eng China An/FIDE.

Gukesh insiste mais la nulle reste au menu !

Colin_McGourty
| 0 | Couverture d’événements d’échecs

La sixième partie du Championnat du Monde FIDE 2024 nous a offert une bataille sur le terrain du Systèmes de Londres, cher à de nombreux amateurs. Elle a toutefois connu une issue pacifique malgré les efforts de Gukesh Dommaraju à prolonger les festivités. Dans une position plutôt défavorable, le prodige indien a en effet refusé une répétition de coups, certainement encouragé par le langage corporel fébrile du champion du monde. Une nouvelle fois en position objective de presser, Ding Liren est néanmoins parvenu à ses fins, à savoir forcer le partage du point, peu après le contrôle de temps.

La septième partie se déroulera mardi 3 décembre à 10:00, heure de Paris après une deuxième journée de repos.

Score du Match

Nom Elo 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 Score
  Ding Liren 2728 1 ½ 0 ½ ½ ½ . . . . . . . . 3
  Gukesh Dommaraju 2783 0 ½ 1 ½ ½ ½ . . . . . . . . 3
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La retransmission avec Kévin Bordi et le GMI Fabien Libiszewski.

Pas de perdants et des sourires en conférence de presse. Photo: Maria Emelianova/Chess.com.

L'analyse du GM Rafael Leitao

La 6ème partie des Championnats du Monde "magique" ?

Et si la sixième partie des matchs pour la couronne aux échecs étaient l'équivalent du fameux septième jeu au tennis, tant propice au break ? Historiquement, cette joute s'est révélée le théâtre de batailles épiques à l'image de la victoire de Tal contre Botvinnik avec les noirs en 1960 ou de Fischer avec les blancs face à Spassky en 1972. Plus récemment, en 2014, Magnus Carlsen avait commis une terrible gaffe contre Viswanathan Anand et gardé une parfaite "poker face" pendant 60 secondes avant de pousser un énorme soupir de soulagement après le raté de son rival qui avait même fini par perdre la partie. En 2018, c'est Fabiano Caruana qui avait manqué un mat forcé (diaboliquement difficile) contre le Norvégien qui, en cas de défaite, aurait vu son statut de numéro 1 mondial déboulonné. 

Nepomniachtchi, beau joueur, après le mat spectaculaire trouvé par Ding. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

En 2021, Carlsen avait mis fin à une série de cinq nulles face à Ian Nepomniachtchi à Dubaï pour remporter la partie la plus longue de l'histoire des Championnats du Monde. Enfin, en 2023, Ding avait signé un second retour fracassant au score contre Nepomniachtchi à Astana. Depuis 2008 - année de la réunification du titre - cinq des neuf parties numéro six se sont avérées décisives en faveur du futur vainqueur du match.

Ding s'essaie au Système de Londres

Le choix de Ding de revenir à 1.d4, puis d'embrayer avec un Système de Londres pour cette sixième partie n'était pas un hasard.

Interrogé lors de la conférence de presse d'après-partie pour savoir s'il se concentrait davantage sur les occasions à saisir avec les pièces noires, il a répondu :

Parfois, je joue avec les blancs comme avec les noirs. Cette fois-ci, j'ai essayé de prendre l'avantage dans l'ouverture et la dernière fois avec ce Londres, également dans la sixième partie, j'avais gagné une belle partie, je voulais donc répéter ce succès.

La dernière fois avec ce Londres, également dans la sixième partie, j'avais gagné une belle partie, je voulais donc répéter ce succès.

— Ding Liren

L'ouverture, au moins, a été plutôt fructueuse, Ding proposant la première nouveauté avec 16.dxe5.

Faisant réfléchir Gukesh par lui-même pour la première fois de la partie, le GM chinois pouvait tranquillement se relaxer en attendant la réplique adverse.

Gukesh a déclaré qu'il se souvenait de 16...Tb8, mais qu'il ne connaissait pas la réponse à 17.Cc4. Il s'agissait d'une position complexe puisque Peter Leko durant le direct a expliqué que le meilleur coup pour égaliser d'après ses notes, 17...Dg2, était impossible à envisager sans le connaître.

Anish Giri a fait un commentaire similaire à propos de l'alternative tout aussi peu naturelle 17...Df3!.

Sans surprise, Gukesh a donc poursuivi avec le plus humain 17...Fe6!? dans l'optique d'échanger le gênant cavalier c4 des blancs contre son fou - une légère imprécision d'après la froide machine. Le prodige indien n'était toutefois pas inquiet : "Je ne me suis jamais vraiment senti en danger, parce que je pensais qu'une fois que j'aurais pris en c4... je serais peut-être légèrement moins bien mais que cela devrait être vraiment difficile de convertir avec les blancs. Ils ne peuvent pas vraiment pousser leurs pions de l'aile dame aussi facilement et j'ai toujours un peu de jeu sur leur roi".

Je ne me suis jamais vraiment senti en danger.

— Gukesh Dommaraju

Si sur l'échiquier, la position semblait sous contrôle, Gukesh accusait un retard de 46 minutes à la pendule, un écart qui allait s'évaporer après son coup 20...Df5, le deuxième meilleur d'après l'ordinateur qui préférait 20...Tbd8.

Soudain, sorti de sa préparation, Ding s'est plongé dans la plus longue réflexion du match jusqu'à présent, égrainant 42 minutes et 42 secondes avant de prendre sa décision. Il s'est expliqué :

Il y a tellement de lignes à préparer et ce n'est que l'une d'entre elles. La préparation est comme un iceberg. Vous voyez les positions qui apparaissent, les parties de l'iceberg qui sont plus hautes que la mer, mais il y a beaucoup d'éléments de la préparation qui ne sont pas montrés sur l'échiquier, l'iceberg dans la mer, donc bien sûr j'ai préparé beaucoup de positions mais celle-ci est un peu nouvelle pour moi. 

La préparation est comme un iceberg.

— Ding Liren

Ding a cependant concédé : "Il n'y a pas d'excuse pour répéter les coups après une telle préparation !".

Ding Liren n'a pas trouvé les réponses escomptées malgré son immersion dans la position. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Répéter les coups a justement été sa conclusion en entamant une danse des dames qui semblait destinée à sceller la nulle. "Hier, Ding avait un avantage beaucoup plus clair - ici, si vous enlevez la barre d'évaluation, je dirais que la répétition est très naturelle", a estimé Leko. L'histoire de Ding qui prend l'avantage mais qui se contente ensuite de la nulle sans combattre était donc sur le point de se répéter quand...

Gukesh refuse la nulle dans une position inférieure

Gukesh a laissé bouche bée tous les observateurs en prolongeant finalement le combat avec 26...Dh4!?.

Les supporters indiens étaient en délire mais les commentateurs semblaient moins convaincus.

Le choc était considérable, Ding lui-même admettant qu'il avait failli écrire sur sa feuille De7.

Ce n'était cependant pas un choc désagréable puisque Ding a déclaré lors de la conférence de presse : "Dh4 a été une surprise totale parce que je pense que sa dame n'est pas si bien placée à l'aile roi - elle est mieux placée à l'aile dame". Qu'avait donc Gukesh en tête ? Il a expliqué : "Je pensais que j'étais peut-être légèrement moins bien, je n'en étais pas complétement sûr mais cela me paraissait le plus probable, puis j'ai pensé qu'avec les colonnes ouvertes devant son roi, j'avais toujours du contre-jeu, et je ne voyais pas de raison de répéter maintenant".

Gukesh a de nouveau démontré une grande confiance. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Le choix apparaissait d'autant plus discutable que Ding, désormais contraint de continuer à jouer, a réagi vite et bien, Leko estimant même qu'il pourrait s'agir d'une "une énorme erreur". Il a souligné que Gukesh avait cité la célèbre phrase de Bobby Fischer, "Je ne crois pas à la psychologie, je crois aux bons coups", lors d'une précédente conférence de presse mais qu'il paraissait à présent miser sur le mental peut-être affaibli de son rival.

Gukesh a toutefois démenti cette théorie, affichant un grand sourire après la partie :

J'aime jouer aux échecs ! C'était plus une question de position que de psychologie. Je pensais qu'il restait beaucoup de vie dans la position et je ne voyais pas vraiment de danger pour moi. Je me suis dit que j'allais jouer quelques coups et voir ce qui allait se passer. Évidemment, la nulle était le résultat le plus probable, donc je voulais juste faire une longue partie, d'autant plus que demain est un jour de repos. 

Un air de déjà vu : Ding n'en profite pas ! 

Ding Liren peine à saisir les opportunités qui lui sont offertes. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Jusqu'à un certain point, Ding a joué vite et bien, et la réticence de Gukesh à échanger les dames a menacé de le mettre en difficulté. Nepomniachtchi semblait sceptique quant à la capacité de la star indienne à trouver un plan. 

Pourtant Gukesh a tracé un chemin pour s'infiltrer avec sa dame via a5-b5-e2-f3, posant de de nouveaux problèmes pratiques à son rival.

Ce n'est pas la première fois que Ding révèle avoir vu le coup numéro 1 de l'ordinateur 34.Dg5!, ainsi que le bon coup 34.Dg3, mais qu'après avoir calculé (et apparemment mal évalué) quelques lignes concrètes, il les rejette pour un coup inférieur, en l'occurrence ici 34.Rc2?!, qu'il a qualifié de "pas si bon que ça".

Finalement, Gukesh a pu échanger les dames dans de meilleures conditions avec 34...Dxf4! 35.exf4 f5! et, avec les deux joueurs se retrouvant en zeitnot, son pari fou allait peut-être en fin de compte lui rapporter le jackpot.  

Gukesh joue contre Ding comme j'avais l'habitude de jouer contre les 2300 et maintenant contre les 2100.

- GM Srinath Narayanan

Nulle logique à la sortie d'un zeitnot maitrisé

Gukesh a "perdu" la bataille de l'ouverture mais a imposé ses termes en milieu de jeu. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

La séquence de coups qui a suivi jusqu'au 40ème a confirmé deux joueurs très affûtés, Gukesh osant même affaiblir son pion passé protégé en poussant 36...e3!?.

Le prodige indien a expliqué : "Après e3, il devait trouver la ressource h5, ce qui était un peu difficile", mais Ding, qui avait fait des réserves...

...se montrait à la hauteur de la tâche qui consistait à ouvrir la position pour forcer ce qui serait finalement une nulle logique par répétition.

Cette partie, aussi intéressante que surprenante, a paru satisfaire les deux protagonistes. Gukesh a fait preuve d'une belle combativité en refusant d'écourter les débats mais Ding a su répondre présent sans se fissurer aux moments critiques.
Avec un score de 3-3, les deux joueurs étaient de bonne humeur lors de la conférence de presse. Ding a répondu avec humour à la question de savoir ce qu'il ferait s'il conservait sa couronne : "La dernière fois, j'ai pleuré après avoir remporté le titre, cette fois-ci, je vais peut-être sourire !".

Les choses sérieuses reprendront mardi, les deux joueurs ayant encore la place pour améliorer leur jeu. Ding a commenté :

Je pense que c'est une bonne chose pour les spectateurs que le match soit encore à égalité, car il y aura beaucoup à voir dans les deux prochaines rondes. En ce qui me concerne, je veux améliorer mon score autant que possible !

Richard Rapport était de nouveau présent pour soutenir son poulain. Photo : Maria Emelianova/Chess.com.

Gukesh aura l'occasion de mettre la pression mardi avec les pièces blanches.


L'analyse vidéo de Kév et Fab


Le Championnat du Monde FIDE 2024 se déroule à Singapour et déterminera le prochain champion du monde. Le challenger indien Gukesh Dommaraju, 18 ans, affronte le tenant du titre chinois Ding Liren dans un match en 14 parties classiques, le premier à atteindre 7,5 points étant déclaré vainqueur. La cadence est de 120 minutes pour les 40 premiers coups, suivies d'un ajout de 30 minutes avec un incrément de 30 secondes par coup à partir du 41ème coup. La dotation s'élève à 2 500 000 dollars, dont 200 000 dollars pour le vainqueur et le reste distribué en parts égales. En cas d'égalité 7-7, des départages auront lieu, commençant par un mini-match de quatre parties rapides en 15+10.


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    Colin_McGourty
    Colin McGourty

    Colin McGourty led news at Chess24 from its launch until it merged with Chess.com a decade later. An amateur player, he got into chess writing when he set up the website Chess in Translation after previously studying Slavic languages and literature in St. Andrews, Odesa, Oxford, and Krakow.

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